Clicky

Les européennes vues du sol

Par MBH,
30 May 2014

Il faut une autre vision de l’Europe

Les résultats de la circonscription Nord-Ouest ne sont pas bons. Alors que le Front National arrive en tête dans presque toutes les circonscriptions, il parade à près de 33% de la Basse-Normandie au Nord-Pas-de-Calais. Il apparaît là que quelque chose est allé de travers, mais je retiendrai surtout que la situation est pire en regardant de plus près les autres résultats (chiffres pour la Seine-Maritime) :

Destination du vote Pourcentage des inscrits
Abstention 57%
FN 12%
UMP 8.3%
Gauche affiliée socialiste 5.5%
UDI 3.4%
Blancs et nuls 1.85%
Source : Ministère de l’intérieur

Ces résultats sont évidemment incomplets puisque 22 listes sont référencées dans les résultats officiels du département, mais l’essentiel est là : l’abstention obtient largement la majorité absolue, les blancs et nuls n’ont pas à rougir face à la plupart des partis en lice. Aucune mouvance ne peut tirer quelque enseignement positif de ses résultats. Arriver devant untel ou tel autre ? des miettes. Le Front National tire son épingle du jeu mais aucun parti ne peut tirer de conclusion positive de ce scrutin — encore moins de la gloire.

Au vu de la représentativité de chaque parti, au vu des manifestations organisées ce jeudi, au vu de la nouveauté de ce vote qui le premier permettait théoriquement aux européens de choisir leur président, on peut évidemment se demander si ces résultats ont un sens quelconque. Les citoyens sont-ils à prendre au sérieux lorsqu’ils expriment une partie de leur opinion dans la rue mais boudent les bureaux de vote ? C’est pour cette raison qu’il me semble plus pertinent à ce stade, plutôt que de se demander quoi ou comment, de se demander qui ? Qui sont les acteurs de cette débandade ?

Le rôle de la politique

Lors de la soirée électorale, les réactions politiques, comme toujours attendues avidement par les différents médias, ont été nombreuses et mitigées. Beaucoup ont ressemblé à celles des précédents scrutins, semblables à ce qui peut être entendu d’année en année depuis des lustres de mandats. Quelques unes cependant ont retenu mon attention.

C’est Jean-Luc Mélenchon qui ouvre la voix. Le 24 mai, il a semblé réellement blessé, inquiet, on dirait presque désespéré : il a déploré une situation où la classe politique, tous partis de gauche confondus, ont échoué dans leur mission au point de voir le Front National second parti de France, derrière l’abstention. Presque ému aux larmes, à plusieurs reprises il a sonné l’alarme de la fin de la démocratie telle que nous la connaissons.

Au centre, Rama Yade s’est inquiétée de ce que face à un tel raz de marée on entende, comme aux municipales, des commentaires rationnels et froids, forgés dans le même moule aseptisé qui étreint la parole politique depuis tant d’années. Elle a présagé que les commentaires de mise en garde s’enchaîneraient dans les jours à venir sans que rien ne change — et a appelé à un changement radical dans la manière de gouverner et de faire de la politique. Son discours a trouvé écho dans les paroles de François Bayrou, qui met en garde contre une classe politique incapable de sortir de son carcan de formalisme et d’intérêts personnels.

Ces discours d’échec de la classe politique, ces motions de défiance envers le système et ceux qui le font, c’est plus souvent au comptoir des bistrots qu’on l’entend. Du comptoir c’est la population, les citoyens européens qui lèvent la tête vers les gouvernants et les administrations, incrédules, et expriment leurs doutes. Ce sont eux qui regardent les choses autour d’eux et ne les reconnaissent pas dans les discours et la politique qu’on leur sert. Ils regardent et disent : ce n’est pas la même chose.

Je suis une de ces incrédules de bistrot, mais je comprends suffisamment les situations de la France et de l’Europe pour savoir que tout n’est pas inepte dans l’action politique et que toutes les intentions d’en haut ne sont pas mauvaises. N’empêche, la distorsion entre ce que je vois par la fenêtre et ce qui se fait au sommet est énorme. Que manque-t-il pour les réconcilier ?

Une question d’échelle.

La carte n’est pas le territoire. Dit comme ça, c’est simple, et à comprendre et à accepter, mais on a vite fait de la rejeter lorsque c’est sur la carte que se prennent toutes les décisions sans que les directions prises à vol d’oiseau semblent coller au terrain. Sans échelle, la carte n’a aucun sens.

De la base, du terrain, la politique n’a aucun dessein. Les manifestations les plus médiatiques de ce travers sont sans doute l’adhésion de nouveaux pays d’une part et d’autre part les réglementations agricoles. Combien de citoyens comprennent le passage relativement rapide de 12 à 28 pays dans l’Union ? Combien de doléances entendons-nous sur les obligations et réglementations liées à la politique agricole ?

Cette incompréhension s’accompagne d’une méconnaissance écrasante de ce que l’Union Européenne apporte de positif à la vie quotidienne — plus grande encore de ce qu’elle fait pour l’avenir des individus et des cultures. Les discours à ce sujet sont inaudibles ; mais les discours qui devraient expliquer l’unité, la direction de l’Europe, sont inexistants. On croit seulement apercevoir une masse informe et silencieuse d’autocrates aveugles à la réalité « du terrain ».

Au sol, le peuple se sent mis à l’écart, ignoré, voire oublié. Où il voudrait voter et qu’on défende ses idées, il voit les raisons de son vote perdues dans l’éther ou bafouées. Ses inquiétudes, ses plaintes : oubliées, niées ou tues. La réalité du territoire qu’il vit au fil du temps s’efface sous le trait assuré mais presque invisible des cartographes. Pour achever de tuer sa confiance et son implication, les médias affichent à intervalles réguliers une affaire : le lien est rompu.

Une nécessité : reprendre en main la gestion des territoires

Rien n’est possible sans cela : pour gouverner convenablement un territoire, à quelque échelle que ce soit, il faut que ceux à qui l’on donne les clefs du pouvoir soient au-dessus de tout soupçon. Il ne s’agit pas de rétablir la confiance — cette phrase a été trop de fois entendue, répétée mécaniquement, elle n’a plus aucun sens. Il faut qu’à la base de l’engagement politique se trouve une parfaite honnêteté, légale évidemment (mais peut-on encore sans se mordre la joue parler d’évidence à ce sujet ?), mais aussi morale et enfin intellectuelle.

L’honnêteté morale, c’est celle qui empêche de mentir à ceux qui vous ont fait confiance comme à ceux qui doutent de vous et celle qui fait passer l’intérêt de la communauté, présente comme à venir, avant tout intérêt personnel ou partisan. C’est l’honnêteté qui manque dans les promesses de campagne, celle qui manque aux mandats à l’approche des échéances électorales, celle, entre autres, qui manque dans toutes les affaires.

Plus complexe, l’honnêteté intellectuelle veut qu’on s’attelle, infatigablement, à reconnaître entre toutes les possibilités vraisemblables celles qui réellement sont des solutions. C’est refuser la solution acceptable par confort pour celle, plus gênante, qui sans doute est plus adaptée. C’est faire preuve de courage quand une solution douloureuse à court terme portera de meilleurs fruits dans le temps, alors même qu’une autre, plus discrète, arrangerait temporairement la situation.

La polis sans la politique : perspective

Il s’agit de s’occuper du fond en délaissant les arcanes de la forme, de s’occuper d’autrui et du territoire, plus de soi et de son propre monde. Il faut redessiner la carte en partant du territoire, en prêtant une attention particulière à la transmission de l’échelle. Avec la confiance reviendra l’écoute ; avec l’écoute reviendra la compréhension et finalement l’intérêt.

Au-delà de l’échelle d’une petite ville, la politique par lien direct n’est pas possible. On ne peut gouverner la France ou l’Europe en écoutant le peuple pour appliquer la politique. Pourtant, il est possible de construire une représentation qui corresponde à la réalité du territoire, avec l’apport bénéfique du savoir de la cartographie. Je ne sais pas s’il faut des référendums européens ; ce dont je suis sûre, c’est qu’il faut que les citoyens puissent voter pour une carte prospective et que cette carte soit respectée. L’avenir de la Politique Agricole Commune n’a aucune importance : il s’agit de s’accorder sur l’avenir de l’agriculture. Si les dirigeants sont capables d’avoir une véritable vision perspective de l’Europe, alors ils doivent la proposer, l’appliquer et l’expliquer.