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Revealing the Shadows: the new Parisians

Par MBH,
18 July 2014
Avec le concours enthousiaste de Victor Guérin

Revealing the Shadows : Emma Burt (Home) Emma Burt : Home | © Victor Guérin

Vous avez peut-être déjà vu les photographies de Victor Guérin au Rêve de l’escalier (Rouen), en 2010, ou, un an plus tard, exposées trois mois pleins chez Harmonia Mundi (ironiquement aujourd’hui un Yellow Korner). Vous avez alors rencontré le photographe à ses débuts, pour ses premières expositions. Entre les deux, il n’a cessé de travailler et d’offrir ses fruits aux rouennais, onze séries photographiques dans dix lieux différents. Sa technique s’est aiguisée, son style affirmé, et en novembre il présentera son travail actuel, Revealing the shadows: The new Parisians, au Couvent des Récollets pour le mois de la photo à Paris. Aujourd’hui, vous pouvez le soutenir.

Lire directement l’interview

Ce sont là ses premiers pas effectifs d’artiste photographe, mais pour remonter aux débuts de son engagement, il faut traverser le globe et rejoindre l’Australie. En 2008, étudiant, il a abandonné presque du jour au lendemain la voie qui lui était tracée pour partir, avec deux amis, voir ce qui se passait ailleurs.

J’habitais Montpellier centre et donc mon appartement était le point de ralliement lorsque des amis étaient de passage. C’est en révisant mon BTS NRC (Négociation & Relations clients) en mai 2008 qu’un ami vient me rendre visite et, toujours avec mes fiches dans les mains, il me dit : “Je pars en Australie en octobre, est ce que tu veux venir ?” Les fiches, lui, les fiches, lui, mon avenir.. Banco, je décide de partir avec lui. Le soir même on annonce ça à notre groupe d’amis et une autre personne se joint à nous.

Là sont nés trois amours: pour la langue anglaise, pour la photographie — à laquelle il a été initié par une jeune Étudiante, Ula — et, bien entendu, pour une femme, avec qui il reviendra en France en plein hiver de 2009.

On imagine assez que la transition thermique a du être rude, mais passionné et désormais sûr d’où se trouvait son avenir il a passé nuit après nuit dehors, dans les rues de Rouen, à explorer les techniques de longue pose et le Light painting, au premier plan dans Revealing the shadows. Il voulait exposer au printemps : c’est Michaël, du Rêve de l’escalier qui accueillera les séries Directions, puis Les nuits des clochers.

S’en sont suivi deux années d’explorations et de perfectionnement. Victor Guérin a tour à tour embrassé les mystères et la confidentialité des contours de Rouen, de ses mille clochers, de ses ruelles anciennes, de son fleuve, il a poussé la technique de la pose longue jusqu’à révéler les couleurs qui se dissimulent à nous la nuit (Beyond the night) ou encore produit des œuvres plus claires, réalistes et insolites (Hola / Bona-nit), ou profondément humaines (Reportage sur le Centre Saint Vivien).

Revealing the Shadows : Jeremy (Create)Jeremy : Create | © Victor Guérin

Là ou d’autres s’intéresseront primordialement à la couleur ou aux lignes, lui pousse ses recherches du côté de l’ombre et de la transparence. La nuit semble pour lui le moyen d’accéder à la granularité des choses. Lorsque presque tout est dissimulé, lorsqu’il faut laisser un temps infiniment plus long à la pellicule pour imprimer les filets de lumière, alors se révèle l’essence intime de ce qu’on croise. Les corps deviennent des voiles dont surgissent l’intensité d’un visage, d’une main ; le mouvement se fait flou, ou au contraire attrape l’attention par les trainées lumineuses qu’il dessine. Son objet est la réalité inchangée, mais il la prend au moment où elle est à la fois la plus insaisissable et peut-être la plus secrètement vraie.

Paris, une étape at the crossroads

Ni sa volonté ni son énergie n’ont faibli avec le temps. Il s’installe à Paris pour faire progresser sa carrière. Il travaille, expose et se constitue un réseau d’amis qui partagent ses passions. En 2014, Il commence aussi la tenue d’un journal où il fixe les petites révélations de la vie quotidienne, Victor’s Glimpses, un projet autour de détails, aux plans rapprochés, d’aucuns diraient un carnet.

C’est là qu’il conçoit le projet Revealing the Shadows. Il s’agit d’une suite de cinquante portraits en noir et blanc, tirés à l’argentique en longue pose. Ses sujets : des étrangers à Paris, beaucoup de ses amis, saisis la nuit dans l’intimité de leur appartement. Sur chaque photo apparaît, dessiné à la lampe torche, un mot unique, choisi par chaque sujet pour concentrer ce que représente pour lui le fait de vivre dans cette grande ville étrangère.

Lui-même, en partie un étranger à Paris, nous confie son mot : “step”, étape en anglais. Il est venu à Paris pour mener plus loin son travail artistique, alors que son amie (dont il est depuis séparé) poursuivait une carrière d’actrice. “Step”, c’est le pas en avant vers une vocation accomplie de photographe professionnel ; c’est aussi un pas de plus vers la prochaine étape, certainement à l’étranger, probablement en Amérique du Nord.

À plusieurs égards, Revealing the shadows: The new Parisians est l’œuvre de l’accomplissement de ces années de maturation. D’abord, il reprend des techniques éprouvées et perfectionnées sur les années. Le Light painting y est précisément maîtrisé ; la transparence des corps, la balance entre la fuite des ombres et la luminescence de la peau produisent des scènes intimes et puissantes où se révèle toute la singularité de ses expatriés de Paris.

La thématique aussi apparaît plus complète. Un réseau de sens participe à la cohérence des photographies : tout y concourt à faire ressentir et expérimenter à qui les voit la difficulté, l’effort que c’est que de vivre loin de chez soi, quelles qu’en soient les raisons, quel que soit le bonheur qui en découle. Ainsi les textes qu’on doit déchiffrer en miroir, les limites du corps qui s’effacent dans le décor noir sont autant de fils auxquels finalement s’accroche le spectateur pour entrer dans la photographie et la vivre.

Aussi, l’unité apportée par le sujet lui-même, par la présence centrale de l’humain, attire l’ensemble de chaque portrait comme un centre de gravité. Chaque réalisation a suivi un déroulement similaire : le photographe rejoint le sujet chez soi. Il ne connaît la plupart du temps pas le mot choisi et ne décidera ni du décor ni, ni de la tenue, ni de la mise en scène. Ce sont les sujets qui écrivent avec la lumière et il leur montre les résultats grâce à un appareil numérique ; après les avoir sensibilisés à la technique, il procède à une série de prises de vue, chacune assez longue, nécessairement, pour que la pellicule argentique ait le temps d’imprimer la lumière quasi absente, quinze photographies parmi lesquelles il choisira ensuite la bonne.

Vous pourrez voir cette exposition en Novembre au Couvent de Récollets. Si vous aimez sont travail, vous pouvez aussi, jusqu’au 22 juillet, y participer en faisant un don à son projet.

Revealing the Shadows : Kate (Awaken)Kate : Awaken | © Victor Guérin

Victor Guérin, jeux d’ombres en lumière (interview)

Vous avez recours à un site de financement participatif, comment vous est venu l'idée d'avoir recours à ce site et est-ce que vous pouvez me dire un peu comment ça fonctionne ?

En fait, quand j'ai eu l'idée de ce projet en lui-même — comme je le disais c'était à San Francisco après l'échec de l'ancien projet [une série de portraits pour lequel il a essuyé de nombreux refus de modèles] — c'est simplement que je me suis dit “Je vais réaliser ce projet (je n’avais pas encore le titre) où je vais faire le portrait d'étrangers qui vivent à Paris”. Je vais le faire en argentique : je savais que ça avait un certain coût. Après, quand je suis rentré à Paris, j’ai commencé à prendre des photos, à sortir mes planches contact, j’ai commencé également à prospecter auprès des différents laboratoires parisiens ; je suis allé à Picto, Négatif Plus, Central Dupon.

Le rendez-vous chez Négatif Plus, il n’y a pas vraiment eu de connexion entre le directeur et moi-même, donc je me suis dit que ça n’était pas possible, que je ne pouvais pas travailler avec eux. Avec Picto, j’ai rencontré le directeur et il était vraiment très sympa, mais il y avait déjà cette barrière de “Il ne voulait pas être partenaire” et on n’aurait même pas pu faire d’essai de tirages en chambre noire ; ce qu’il voulait, à la rigueur, c’était de me faire un essai à partir de sa plate-forme avec des tirages numériques ; ça ne rentrait pas du tout dans l’esprit du projet, je voulais justement montrer ma première exposition argentique. Quand j’ai rencontré Central Dupon, j’ai rencontré ma conseillère, Caroline, et j’ai rencontré Thomas, qui était le directeur de la chambre noire, enfin du service laboratoire, et rien qu’en lui parlant du projet il était déjà très enthousiaste de pouvoir travailler dessus ; je devais lui apporter le jeudi une planche contact, on a sélectionné la photo qu’il allait tirer pour faire des tests et il me dit “Bah reviens mercredi”. Le vendredi matin j’avais un appel de sa part qui me disait “J’ai tellement adoré ton projet et les photos que la photo est prête, tu peux venir la chercher aujourd’hui”. Sur les six derniers mois je les ai vus au moins une fois par mois où on fait le point sur les nouveaux tirages à faire, sur les photo-shoots, sur la façon de communiquer, etc.

Central Dupon, c’est le laboratoire qui est affilié à la MEP (Maison Européenne de la Photographie), qui au niveau qualité est vraiment très haut : ça a un énorme coût. Les cinquante tirages c’est 11 000 euros. C’est pour ça que j’ai décidé de faire appel à un financement participatif. Pour cette raison financière, mais également pour pouvoir créer une communauté autour de ce projet, parce que si je m’étais auto-produit, les seules personnes qui auraient été au courant ç’aurait été moi, mes cinquante modèles, et mon entourage proche, alors que sur KissKissBankBank, en l’espace de cinquante jours, il y a eu à peu près 8000 vues sur le projet. Il n’y a pas eu 8000 dons, il n’y a pas eu 8000 personnes qui ont investi, mais le projet est quand même arrivé à une certaine visibilité et le fait d’avoir ce projet sur la plate-forme m'a permis également de dire lorsque j’ai cherché des partenaires de leur dire que leur logo serait dans la partie partenaires sur la plate-forme ; donc pour eux c’était une autre visibilité que mon site Internet personnel.

J’ai choisi KissKissBankBank parce que j’ai pu avoir un rendez-vous avec la personne et que ça s’est bien passé. Il y avait Ulule aussi qui était possible mais j’ai choisi KissKissBankBank parce que — ça c’est passé comme ça, il n’y avait pas vraiment de choix arrêté sur la plate-forme.

En tant qu’artiste, comment voyez vous Internet, les possibilités, les limitations, ce que ça peut permettre et est-ce que vous pensez aussi que ça gâche des choses ?

Alors, je l’utilise tous les jours, ça c’est sûr et certain. C’est un outil vraiment bien, là je le vois d’autant plus par rapport à la campagne ; ça m’a permis de contacter un très grand nombre de sociétés, de personnes, de blogs, de sites Internet, pour justement leur proposer d’être partenaires et de diffuser l’information de la campagne. Ça m’a permis également lorsque j’ai dû trouver un lieu d’exposition d’envoyer directement des portfolios aux différentes galeries, aux différents lieux pour exposer. Si j’avais dû envoyer un portfolio papier à tout le monde, ça m’aurait coûté vraiment très très cher : ça peut donc permettre un gain de temps, d’énergie et d’argent.

Par contre c’est vrai qu’on perd directement le contact avec les gens et les affinités qui peuvent se créer ; moi je sais que sur les lieux où les gens m’ont dit “Le projet nous intéresse, venez, on va fixer un rendez-vous”, c’est à ce moment là que j’ai pu décider dans quel lieu j’allais exposer. Quand j’ai rencontré Chrystel Dozias, des Récollets, on a vraiment eu un contact, on a discuté ; elle-même avait eu l’idée d’un projet un peu similaire il y a cinq ou six ans et on a vraiment créé une connexion. Internet ça permet de contacter un très grand nombre de personnes, mais c’est très impersonnel parce qu’on est derrière son écran. Donc pour moi, vraiment les avantages ça va être la communication et pouvoir toucher un maximum de gens ; comme j’ai vécu à l’étranger, pour moi c’est beaucoup plus facile de parler avec mes amis d’Australie, de Nouvelle Zélande ou des États Unis -- ça bien sûr ça aide énormément. Mais après, je pense qu’on perd ce contact au niveau artistique, pour mon travail.

[Concernant la propriété intellectuelle] on n’est jamais à l’abri d’une personne qui va faire une copie d’écran ; si le clic droit est désactivé sur mon site Internet, les gens font quand même des copies d’écran pour pouvoir utiliser les photos un peu comme ils veulent. Mais le truc bien c’est que si on n’a pas de visibilité les gens ne vont pas voir votre travail, à moins que vous exposiez quelque part. Donc c’est vrai que ça reste quand même pour moi un avantage de pouvoir avoir accès à cet outil et de me permettre d’avoir une visibilité un peu plus importante.

En plus je trouve que ça colle quand même très bien avec votre projet qui a un côté participatif, avec les modèles, donc ça rentre vraiment dans le thème : on reste dans le participatif pour le financement en fait.

Exactement, voilà, c'est ça.

Avez eu d'autres pratiques artistiques que la photo ?

Non, j'ai fait un peu de montage vidéo quand j'étais plus jeune, c'était même avant de découvrir vraiment la photographie. J'ai toujours pris des photos ; c'est toujours moi qui avait un appareil photo dans le groupe d'amis mais non, je suis très mauvais peintre et dessinateur. Je fais de la musique par contre, donc oui, c'est une expression artistique.

Et quelle part la photo occupait-elle dans votre vie ; est-ce le plus clair de votre temps.

Quand j’étais à Rouen, c’est clair que j’étais au moins cinq nuits par semaine dehors, dès qu’il faisait nuit et jusqu’à une ou deux heures du matin pour prendre des photos, donc j’étais vraiment à temps plein. Comme je vous l’ai écrit j’étais parti sur une année d’expositions, il fallait en produire des photos. Donc c’est vrai que j’étais énormément dehors. Mais à Paris, j’ai dû travailler pendant deux ans comme responsable commercial, avec des horaires -- c’était pas le 35 heures. Pour le coup au niveau vraiment créativité ça m’avait énormément limité. Toutes mes photos sont encadrées et sont dans mon petit appartement parisien, elles ne sont pas exposées, j’ai quand même sur mon temps libre pu décrocher certaines expositions, notamment une de trois mois au FIAP Jean Monet (XIVème) où j’avais pu mettre quatre-vingt photos. Mais pendant deux ans j’ai été vraiment très très pris ; c’est pour ça que j’ai décidé de quitter mon emploi pour pouvoir partir sur un mode de vie créatif et pouvoir vraiment re-produire, re-créer — sachant que je me suis dit que je ne partirais pas de Paris sans avoir créé quelque chose et que je n’ai pas envie de rester, je sais que Revealing the Shadows, c’est vraiment ma création parisienne.

Donc quand vous parliez de partir après votre projet parisien c’est vraiment après cette exposition là.

Oui, à la fin de l’exposition Revealing the Shadows je vais rappeler certaines personnes qui sont en train de m’aider à chercher d’autres lieux, à l’étranger, parce que ce projet en lui-même parle des étrangers qui vivent à Paris, mais on peut très facilement toucher des étrangers qui vivent à Londres, à Berlin, à Rome, à Milan — peu importe — à New York. Je pense que ce projet peut leur parler, parce que si on enlève juste Paris on pourrait montrer ces cinquante portraits d’étrangers qui vivent dans une grande ville et le mot signifie “Qu’est-ce que vous pensez de cette grande ville ?” : on peut justement jouer sur le fait de ne pas forcément localiser cette série de photos, je pense que ça peut parler à d’autres étrangers, qui ne vivent pas dans leur pays d’origine et qui auront peut-être également leur mot à dire sur la grande ville dans laquelle ils vivent. Moi j’aimerais pouvoir la faire voyager dans ces différentes villes, pour après finir par les États Unis.

Est ce qu’il y a des choses qui influencent plus votre travail : d'autres artistes — dans quelque domaine que ce soit d'ailleurs — qui influencent vos projets ou qui influencent votre façon de les mettre en œuvre ?

Je ne sais pas si c'est prétentieux de dire : non. Mais en fait, étant autodidacte, j'ai commencé la photographie, j'étais en train de voyager, donc je n'avais pas accès à de la documentation, etc. Tout s'est fait par expérience, par échange directe avec des personnes qui m'ont appris certaines techniques et avec qui on a échangé. C'est vrai qu’il y a des photographes (ou des artistes) que j'aime beaucoup mais leur travail est très différent du mien : de la longue pose avec des effets lumineux. Il y a vraiment un photographe avec qui je suis en contact. Je lui ai demandé d'être mécène de Revealing the Shadows mais il n'a pas le temps, c'est un homme très occupé : c'est le photographe Michael Kenna. C'est mon photographe préféré, photographe anglais qui vit aux États-Unis, il fait de la longue pause aussi mais avec filtre, ça lui permet de prendre des photos pendant encore plus longtemps et ce ne sont que des no man's land : c'est soit architecture, soit paysage mais il n'y a jamais jamais personne dans ses photos. Ça à la rigueur, c'est la connexion que je pourrais faire avec son travail, hormis Revealing the Shadows et peut être le Centre Saint Vivien : c'est moi aussi l'univers que je recherche, où il n'y a personne sur les photos.

Revealing the Shadows : Yoko Takano (Cœur - Japanese)Yoko Takano : Cœur (Japonais) | © Victor Guérin

Par rapport à l’expérience que vous avez eue aux États Unis, vous me disiez que c’était un échec ...

Oui, oui totalement

Les gens n’ont en fait pas accepté d’être sur les photos : qu’est-ce qui s’est passé ? En quoi ça a été un échec ?

En fait, après en avoir parlé à des amis une fois rentré, ils m’ont dit que peut-être c’était la façon dont je présentais la chose. En fait je marchais dans la rue de San Francisco — j’avais sélectionné ma rue, j’avais traversé entièrement d’est en ouest San Francisco sur la même rue — et j’avais avec moi mes cessions de droit d’image, l’appareil photo autour du cou et j’arrêtais les gens (quand les gens s’arrêtaient, parce que les gens marchaient vite), je leur disais que j’étais photographe français, que je voulais faire une exposition de portraits pour une exposition à Paris et que s’ils étaient d’accord, je prenais leur photo : j’en faisais deux ou trois et je leur faisais signer le formulaire, je leur enverrais une de leurs photos. Et non. En fait les sept premières personnes à qui j’ai pu vraiment parler m’ont dit non, elles m’ont dit que ce n’était pas possible. Étant donné que ce n’était pas vraiment mon univers et que c’était vraiment un challenge pour moi... bah au bout de sept, j’ai arrêté. Peut-être que le huitième ça aurait fonctionné, mais honnêtement ça m’a rendu malade.

C’est vrai qu’en faisant avec des gens de votre entourage plus ou moins proche, ça résout un peu le problème

Oui, et les gens après on peut discuter le projet, ils adhèrent ou ils n’adhèrent pas, mais voilà : ce n’est pas de but en blanc leur dire “Je veux vous prendre en photo”. Là, pour le coup, les inconnus dans la rue, déjà pour moi c’était très stressant, comme je le disais ; c’est quelque chose que je ne fais pas et en plus, d’avoir eu sept refus d’affilée, je me suis dit “C’est bon, là, j’arrête”.

Je fais autre chose

Du coup Revealing the Shadows est né, après avoir réfléchi un peu.

Comment êtes-vous venu à la photographie de nuit. Vous disiez que vous sortiez la nuit, pourquoi la nuit ?

Quand on m’a montré comment on utilisait le mode manuel sur l’appareil photo je me suis aperçu qu’on pouvait changer la vitesse, qu’effectivement on pouvait le rendre plus rapide, mais qu’on pouvait aussi le rendre plus lent, prendre des photos pendant plusieurs secondes et donc avec mon petit bridge acheté quand je suis arrivé en Australie je posais mon appareil sur le trottoirs et je prenais des photos des voitures qui passaient. Après, c’est surtout quand je me suis retrouvé en Nouvelle Zélande que j’ai vraiment exploré ça. Je suis parti pendant un mois en voiture avec une amie, on a traversé les deux îles, campé, dormi dehors... et le soir quand on est dans un champ il n’y a pas forcément grand chose à faire donc je sortais, je posais mon appareil photo quelque part et je changeais les réglages pour voir ce que ça allait donner, et quand je me suis aperçu que l’appareil photo arrivait à recréer les couleurs, la traînée des étoiles, en prenant une photo pendant soixante seconde, ça a été vraiment une révélation et je me suis aperçu qu’on pouvait même jouer avec les corps.

Dans Beyond the night, ce sont cinq photos en couleur dont quatre ont été prises en Australie et Nouvelle Zélande. Il y en a une où je suis assis devant un garage mais je suis assis sur deux chaises. En fait ce n’est pas retouché : c’est une photo qui est prise pendant soixante secondes, je me suis simplement déplacé d’une chaise à une autre, je suis resté vingt-cinq secondes sur une chaise, vingt-cinq secondes assis sur l’autre, et l’appareil photo a quand même le temps de me voir, de m’imprimer, mais comme je m’en vais il voit également derrière et donc on peut jouer sur la transparence des corps. J’ai adoré jouer avec ça et avec n'importe quelle source lumineuse on peut dessiner, on peut écrire, on peut créer tout et n’importe quoi ; ça reste éphémère, ça n’apparaît que sur l’appareil photo mais sur place le lieu où on a fait la photo reste identique. C’est ça aussi que j’aimais avec les photo de nuit, c’est qu’avec la création des effets de lumière on ne détériore pas le lieu, on le fait changer d’aspect, on crée quelque chose et évidemment si on expose les gens peuvent le voir mais autrement ça reste très éphémère, je trouve ça poétique.

Est-ce que c’est une étape ? Ne voulez-vous pas retourner à des photos colorées ?

Non, je pense que le noir et blanc ça va vraiment faire partie de moi, de mon univers photographique. Après c’est vrai qu’il y a certains sujets que j’ai incarnés avec — notamment un en collaboration avec quatre photographes parisiens que j’essaye de mettre en place et ça prend énormément de temps : ça par contre ce sera de la couleur. Mais ça va être vraiment très ponctuel, je pense, dans ma carrière. Moi l‘univers que j’aime c’est le noir et blanc et je sais que je prends énormément de plaisir à prendre des photos sur noir et blanc, 100 ISO — voilà. Mais ponctuellement...

Justement dans la série _Revealing the Shadows_, la dominante sombre est constante. Vous l’expliquez comme un moyen d’accentuer l’intimité de la scène. N’y a-t-il pas des personnalités pour lesquelles vous avez été tenté de basculer du côté de la lumière ?

Non. C’est vrai que j’ai laissé au modèle le choix de s’asseoir où il voulait, il a fallu que je gère des lumières noires juste à côté, que je fasse attention à ce qu’on ne voie pas — des murs blancs qui projetaient selon l’éclairage que je donnais réflectaient la lumière, dans quel cas on risquait effectivement de me voir — donc c’était un peu compliqué, mais pour l’ensemble des photos ça a été vraiment de me concentrer sur le modèle, même si on ne parle pas de photo style buste, photo d’identité — parce qu’en plus ce sont des photos prises au format paysage, pas au format portrait, et ça c’était totalement volontaire parce que ça permettait au cas où, selon l’éclairage, suivant le lieu, de potentiellement voir ce qui entourait le modèle. Ce n’était pas... si on voyait des choses, tant mieux, mais sinon, mon but c’était simplement d’éclairer ce modèle pour le faire sortir de l’ombre et de l’obscurité qui peut l’entourer, en schématisant évidemment que l’obscurité c’est Paris.

Revealing the Shadows : Willie (Persevere)Willie : Persevere | © Victor Guérin

Je trouvais que dans cette série il y avait une part de documentaire, mais je pense que vous restez clairement du côté de l’art : quelle différence feriez-vous entre les deux et pensez-vous qu’il est préférable de rester d’un côté ou de l’autre... est ce qu’on peut mélanger les deux ?

C’est vrai que quand j’ai commencé, quand j’ai pensé à ce faire ce projet, que j’ai écrit le squelette que j’ai envoyé aux différentes personnes auxquelles je pensais pour être mes modèles, et après avec l’engouement que ça a pris — d’avoir pu trouver cinquante personnes, je ne m’attendais pas du tout à ce que ce projet sorte de l’aspect artistique. Quand j’ai eu l’idée, c’était juste le portrait, noir et blanc, light painting, le mot, noir, lumière. Après, je suis quand même allé dans quarante-six maisons différentes, j’ai rencontré ces cinquante personnes, il y a des amis très proches, des amis d’amis, des personnes que j’ai rencontrées juste le jour du photo-shoot, parce que c’est des amis d’amis, avec qui j’étais juste en contact soit sur Facebook soit par email et même — il n’y en a que deux — que je n’ai rencontré que le jour du photo-shoot.

Il y a des photo-shoot qui on duré une heure, il y en a qui ont duré quatre heures et demi, parce que je me suis fait inviter à dîner par exemple, parce que toutes les photos sont faites de nuit. Mais ce qui pour moi a changé totalement la dimension de ce projet c’est qu’à chaque fois j’ai eu vraiment un moment d’échange avec ces personnes. Ce n’était pas juste moi, photographe, qui venait faire des photos de modèles, de gens au hasard : il y avait vraiment un échange parce que je leur ai demandé à chaque fois “Pourquoi tu as choisi ce mot ?” et j’avais leur explication et cinquante fois j’ai posé cette question, j’ai eu cinquante explications différentes.

On a discuté d’autres choses, de choses plus profondes ou plus légères, il y a vraiment eu ce côté de rencontre humaine avec ces personnes — et je me suis rendu compte d’une communauté, quand on dit “les étrangers qui vivent à Paris”, même s’ils sont tous dans ma tranche d’age approximativement, c’était vraiment intéressant de voir au niveau social les gens que j’avais pu prendre en photo et c’est pour ça que pour essayer de pouvoir donner au public un aperçu de l’expérience humaine que j’ai eue j’ai demandé à chaque modèle de m’écrire cinq lignes dans sa langue maternelle pour expliquer son mot, plus une traduction (parce qu’il y a quand même treize langues et moi je n’en parle que deux, le français et l’anglais). Ces cinq lignes avec une traduction française et anglaise seront dans le livre que je projette de faire sur Revealing the Shadows : pour chaque portrait on aura des informations sur le modèle plus l’explication de son mot dans sa langue maternelle, en français et en anglais, et pour finir le film photographique où ce sera un diaporama des 50 photos avec pour chaque photo un enregistrement de la voix du modèle dans sa langue maternelle qui lira son texte, avec des sous-titres français pour la France et anglais si c’est ailleurs.

Justement, pendant le vernissage, en novembre, il est prévu de présenter des retranscriptions de ces textes. À quel point les photographies sont dissociables des textes, est-ce qu’elles peuvent être présentées telles quelles ? est-ce que le texte fait partie intégrante de l’œuvre ?

La base de Revealing the Shadows c’est cinquante portraits et à côté de chaque portrait il y aura juste un encart avec le nom de la personne, pays d'origine, nationalité, potentiellement niveau d’études (j’ai toutes les informations, mais je ne sais pas si je vais les utiliser), le travail exercé à Paris, le travail que la personne voudrait vraiment faire dans la vie si elle le sait, la date d'arrivée à Paris, son mot écrit en toutes lettres (et à l’endroit pour le coup), sa traduction française si nécessaire, et la date du photo-shoot. Parce que les mots peuvent changer : photo, petit encart juste pour essayer de donner plus d’information à l’audience quand il verront l'exposition : ça c’est vraiment la base de Revealing the Shadows, ça c’est ma première idée.

Après le livre et le film photographique c’est simplement par rapport à l’expérience que j’avais eue, je trouvais dommage que moi seul connaisse l’envers du décor. C’est pour ça que j’ai voulu développer en leur donnant la possibilité d’écrire mais aussi de parler. Le film photographique je vais par exemple peut-être le présenter à des festivals de films photographiques, parce que le sujet peut être intéressant. Donc tout peut être dissocié, et la série en elle-même est totalement indépendante.

Vous insistez sur l’aspect humain et social, ça me fait penser au reportage au centre St Vivien. Est-ce que vous pensez que c’est un aspect qu’on retrouvera dans la suite de votre travail

Non, je ne pense pas du tout. C’est vrai que cette expérience au centre St Vivien c’était vraiment très intéressant. Odile, qui travaille au centre et qui avait vu mes photos lors d’une exposition que j’avais faite à côté dans une galerie espagnole m’a contacté pour me demander “Est-ce que tu veux exposer au centre”, j’ai répondu “Avec plaisir, j’ai plein de cadres”. On s’est rencontré ; elle voulait exposer mes séries à moi, et quand j’ai vu le lieu, qu’elle m’a expliqué ce qu’ils faisaient, etc., j’ai proposé “Est-ce que tu veux qu’on fasse vraiment un projet, une série sur le centre, on peut créer ça”. On s’est donné du temps, j’ai passé trois semaine sur place, parce que il y des ateliers tous les jours qui changent, les gens changent... il fallait que je passe un peu de temps avec tout le monde. Une fois je me suis retrouvé avec trois mamies qui étaient dans l’atelier peinture. Je suis resté une heure et demie avec elles, j’ai dû prendre deux photos, mais je suis resté une heure et demie avec elles à discuter. C’est vrai que ces trois semaines ça a été pour moi vraiment très intéressant, de pouvoir échanger avec ces personnes que je ne connaissais pas du tout, les gamins à la crèche étaient totalement fous à chaque fois qu’ils voyaient mon appareil photo.

Ça a été plus difficile de prendre les enfants en photo, parce que les parents n’étaient pas très d’accord. On a fait signer des accords à tout le monde mais c’est pour ça qu’il n’y a que trente-quatre photos, parce que des gens se sont rétractés sur l’autorisation. Mais ça a été vraiment très intéressant et ça a été la première fois pour le coup que je prenais réellement des gens en photo dans des scènes de vie, sachant que c’est quand même différent de prendre des gens en photo dans la rue par exemple et ensuite de leur demander leur autorisation. Là c'était acté, il y avait un panneau à l’intérieur du centre, ils ont tous reçu une newsletter en même temps disant qu’il allait y avoir un photographe pendant trois semaines et qu’on allait leur faire signer un papier, qu’ils pourraient me rencontrer, me poser des questions s’il y avait besoin. Mais ça a été vraiment une expérience très intéressante.

Revealing the Shadows c’était vraiment pour moi — j’avais vraiment envie de m’essayer au portrait et j’ai vraiment appris à aimer faire des portraits, surtout avec cette technique que j’utilise et dans l’esprit de ce projet. Après je ne pense pas que mon prochain projet sera de portraits ou “humain”. Je pense que je vais retourner à du no man’s land pendant quelques temps.

Est-ce que vous avez eu sur le dernier projet beaucoup de gens qui ont refusé ?

J’en ai eu une vingtaine, soit parce qu’ils allaient quitter le pays, soit parce que je ne les payais pas. Il y en a un qui était mannequin et il ne voulait pas être associé à ce projet là, il ne voulait pas voir une autre photo de lui parce que si jamais il devenait très connu j’aurais une photo de lui, donc il m’a expliqué qu’il ne voulait pas le faire. Sinon, soit des gens qui ne m’ont pas répondu et à un moment donné il fallait que je sélectionne les cinquante personnes donc j’ai laissé tombé. J’ai contacté un peu moins de quatre-vingt personnes, il y a eu une vingtaine de refus et ce qui était rigolo c’est que quand je faisais un photo-shoot les modèles me disaient “Ouais mais je connais quelqu’un il va être super...” mais après le photo-shoot, jamais avant, toujours après, une fois qu’ils voyaient comment ça se passait, le résultat...

Il y a eu des gens qui ont dit après avoir vu le résultat “Moi je ne veux plus le faire” ?

Non. Tous les gens qui font partie de Revealing the Shadows soutiennent le projet, il n’y en a aucune qui s’est rétractée ; il y en a une qui m’a dit, — parce que j’ai envoyé des previews aux gens pour qu’ils puissent les utiliser de leur côté pour communiquer pendant la campagne, des versions numériques de leurs photos — sur les cinquante que j’ai envoyées je dirais que j’ai eu quatre filles qui m’ont dit “Ah moi j’aime pas cette photo”, “c’est pas mon bon profil”... Après, c’est mon choix et c’est moi qui vais décider quelle photo sera exposée. Mais j’essaye quand même de faire plaisir à tout le monde. Parfois c’est pas évident.

Parfois il faut trancher. C’est intéressant que ce soient plutôt des filles qui aient remis en question les choix des photos.

Il y a deux tiers de filles, trente-trois filles pour dix-sept garçons, mais c’est vrai que... il y en a une qui m’a demandé d’attendre, parce qu’elle voulait pas le faire tout de suite. Il y en a trois ou quatre qui une fois que j’avais envoyé la photo pour qu’elles m’aident à communiquer sur la série m’ont dit “Ah non en fait j’aime pas du tout”. Pourtant j’avais bien écrit dans le mail que c’était une version numérique, que ce ne serait pas celle-là qui serait exposée, que de toute façon je ne leur enverrai pas la photo qui serait exposée parce que je la gardais un peu secrète. Il y en a quand même trois qui m’ont dit “Est-ce que tu pourrais m’en envoyer une autre s’il te plaît, moi je ne m’aime pas dessus”.

Et vous avez eu l’inverse, des gens qui ne s’aiment pas ou qui ne s’aiment pas particulièrement et qui se seraient découverts différemment en photo ?

Étant donné que personne n’a encore vu les photos finales, surtout en grand format, je n’ai pas eu encore ce retour. Par contre deux amis à moi, des amis très proches qui font partie de Revealing the Shadows et qui ont vu toutes les photos, rushs numériques comme argentiques, on a pu en discuter et suivant l’éclairage les gens ont des expressions totalement différentes et selon les photos on arrive à faire sortir un visage différent de certains modèles.

En discutant je pense au rapport aux gens avec leur image. Vous ne trouvez pas ça paradoxal que les gens publient autant sur eux sur les réseaux sociaux et pourtant ils ont des réticences à être pris en photo.

Je pense que le fait que ce soit eux qui publient leur photo fait qu’ils pensent être maîtres de la situation : c’est moi, je décide de me prendre en photo, de faire un défilé devant mon miroir et de la mettre sur tous les réseaux sociaux ; mais voilà, c’est parce que c’est moi, ce n’est pas quelqu’un d’autre qui va la prendre et la diffuser à son réseau. Je pense que c’est parce qu’ils peuvent avoir l’idée qu’ils sont maîtres de leur image, parce que c’est eux qui mettent leurs photos. Mais une fois qu’elle est sur la toile elle peut être partout.

En fait c’est une fausse impression de pouvoir.

Je pense oui

Dernière question, sur la technique du _light painting_ : je ne connaissais pas du tout et je suis pas sûre de comprendre comment ça fonctionne.

Le principe du light painting c’est que la pellicule est sensible à la lumière, donc si on a une forte source lumineuse et qu’on la déplace devant l’appareil (là on parle de temps de pose très longs, une demie seconde, une seconde, ou trente ou quarante secondes) c’est simplement que l’appareil photo va imprimer cette source lumineuse. Si c’est une source lumineuse fixe, par exemple si vous prenez une photo de nuit — vous posez votre appareil, il y a un lampadaire dans la rue, vous prenez la photo pendant dix secondes — la lumière du lampadaire sur la photo on va plutôt voir une étoile, ça va être tout blanc : ça c’est pour une source lumineuse fixe : l’appareil photo pendant la prise de vue va prendre cette lumière du lampadaire et ça va créer un halo plus grand que le lampadaire. Quand on parle de light painting, c’est par exemple la traînée des voitures si on fait une photo de nuit et qu’une voiture passe. On va voir la traînée des phares. Comme on prend la photo pendant un certain temps et qu’on est dans le noir il va vraiment se concentrer sur la source lumineuse.

C’est pour ça que ça accentue d’autant plus la possibilité de voir le mot que les modèles écrivent, c’est simplement que pendant tout le temps que l’appareil reste ouvert, qu’il prend la photo, le fait de faire bouger la source lumineuse il va imprimer toutes les choses lumineuses. Il faut quand même faire beaucoup de tests pour faire les bons réglages, pour avoir la bonne luminosité. Et il faut avoir un trépied aussi, c’est mieux.

Propos recueillis le 19 juillet 2014

Intersections est partenaire de The new Parisians dans le cadre du Mois de la Photo-OFF.